L’Echappée Belle, connue aussi sous le nom d’Ultra Traversée de Belledonne, est un ultra trail de 149Km pour 11 400 mD+… des mensurations colossales et un terrain minéral en haute altitude qui en font l’uns des ultra trail les plus difficiles du monde.
Longtemps dans l’ombre du mastodonte médiatique UTMB, L’Echappée Belle s’est fait connaitre dans le monde de l’ultra par son parcours et son terrain très difficile. L’Echappée Belle intrigue, fascine même… elle attire de plus en plus de monde et d’élites désireux de se frotter à la bête !! Défier la chaîne de Belledonne et ses gros cailloux, c’est quelque chose d’osé même pour les meilleurs d’entre nous ! L’Echappée Belle est une course de 149Km partant de Vizille en Isère, traversant toute la chaîne montagneuse de Belledonne pour finir à son extrémité dans la ville d’Aiguebelle en Savoie. L’Echappée Belle, c’est une course de caractère, une course pour les puristes… elle se gagne à une vitesse de 4 ou 5km/h de moyenne et se termine en 54h maximum. Elle compte chaque année 50% de Finishers seulement, c’est dire ce qu’elle représente en termes de difficulté !! Il faut être costaud mentalement et être bien préparer pour espérer faire retentir la cloche d’arrivée à Aiguebelle. Plus belle, plus dure…. Telle est sa devise !! Avant de s’engager sur une telle aventure, il est important de savoir où on met les pieds… ici c’est le royaume du gros caillou !! En Belledonne, la montagne est belle, mais elle est intransigeante avec ceux qui la traverse. Il faut la respecter et savoir se hisser à la hauteur de ses exigences… chose que je n’ai pas su faire il y a an en arrière…
Cette course fait partie des plus grandes et des plus dures qu’il soit… je l’ai appris à mes dépends en 2019. Quelques jours avant le départ, j’ai pris conscience de cela en lisant certains articles dans des revues spécialisées. Mais également dans les retours d’expérience de pas mal de coureurs d’ultra aguerris. Beaucoup la place au-dessus de l’UTMB, de la Diagonale des Fous et de l’UT4M !! Cette course méconnue du grand public a donc tout du traquenard parfait !! Le doute s’est donc installé à l’époque, dans une période assez délicate de ma préparation, puisque celle-ci était entachée d’une double tendinite aux tendons d’Achille. Arrêt complet de l’entraînement à 3 semaines de l’échéance… j’étais donc loin d’être rassuré, mais malgré mes craintes je me refusais de ne pas y croire !! J’y suis donc allé avec mes armes et une fausse idée de pouvoir surmonter toutes les embuches qui allaient se présenter à moi ! Au départ, un mélange de peur, d’enchantement et de faux espoirs me traversaient les entrailles… bref les symptômes d’une fébrilité certaine, je me souviens !!! Quand tu as l’honneur d’affronter Conor Mc Gregor à mains nues et que tu rentres dans la cage… tu sais que tu as intérêt d’être bon, car tu vas en prendre pleins la gueule !! Tu ne dois pas y aller avec l’appréhension de te faire défoncer, ne dois pas le regarder avec fascination même s’il incarne quelque chose de grand !! Tu ne dois pas le craindre, ni le respecter une seule seconde… car en un rien de temps, la déferlante peut s’abattre sur toi et t’être fatale !!! Tu dois le combattre avec toute ta force et y aller avec des couilles de taureau !! L’Echappée Belle…. Qu’on se le dise, c’est un combat !! Un combat…contre soi-même, contre les montagnes, contre le dénivelé, contre les cailloux !! Si on n’a pas conscience de cela d’entrée de jeu… alors oui, on finit comme moi l’an dernier au 47ième Km hors barrières horaires, avec le sentiment d’avoir tout donné après avoir vomi 3 fois à plus de 2500m d’alt. perdu au milieu de nulle part !! Je me rappelle, au sommet du col de mine de fer, ne pouvant plus mettre un pied devant l’autre… la montagne lasse de me voir si diminué par l’effort, m’a offert ce dernier cadeau d’adieu… ce chamois à 10m de moi, se moquant clairement de ma présence à la tombée de la nuit. Derrière lui au loin, le col de la croix de fer et le glacier de l’étendard aux couleurs orangés… Incroyable de beauté !! Juste en dessous, c’est Saint-Sorlin d’Arves, lieu de résidence de mes vacances (à quelques kilomètres à vol d’oiseau seulement). La scène était révélatrice, signe de Dieu, qui m’invitait à sa manière vers la sortie… c’était clair à cet instant, le message était passé… l’aventure touchait à sa fin, il était temps de rejoindre les siens et finir les vacances en famille. A cet instant, mes derniers espoirs venaient de s’envoler en éclat… Habert d’Aiguebelle était encore loin et la barrière horaire si proche ! Vu mon état, il était clair qu’à 22h je n’y serais pas !! La barrière horaire était inatteignable !! Je me suis fait violence pour m’extraire, tant bien que mal, de ce calvaire… Belledonne, si douce et impitoyable à la fois… Je passe la barrière horaire avec 20min de retard !! Pas au rendez-vous, pas au niveau de l’évènement tout simplement !! Et Dieu sait que je me suis battu pour échapper à cette réalité !! J’ai mal vécu l’échec pendant les jours qui ont suivis, j’avais besoin de prendre un moment pour faire le point… évacuer ma frustration !! Juste avant mon retour sur Fuveau, je suis donc parti courir jusqu’au glacier de l’étendard. Une semaine après cette déconvenue, j’étais donc de l’autre côté, sur la montagne d’en face, au pied de ce glacier qui m’appelais quelques jours plus tôt !! En face de moi… Belledonne et ses dentelles… A cet instant, j’ai tout lâché et pleuré toutes les larmes de mon corps… J’ai pu lui dire tout ce que j’avais sur le cœur !! Entre nuages et rayons de soleil, la pluie s’abat sur ses sommets… Belledonne dégage tant de puissance et de douceur à la fois… l’image est captivante, enivrante même ! Derrière l’enfer que j’ai vécu là-bas, il y avait avant ça un bout de paradis… des paysages de merveille, d’une beauté indescriptible… C’est clair, c’est une évidence, je veux y retourner !! Je lui ai donc donné RDV pour 2020 !! Quoiqu’il m’en coûte, je retournerai sur l’Echappée Belle l’an prochain ! C’était décidé, le cauchemar vécu prenait fin pour la naissance d’un rêve nouveau !! C’est devenu une obsession, un fantasme même… y retourner et la finir pour en voir plus !! Vu la violence de l’expérience, repartir sur cette aventure si tôt, c’était peut-être une folie…mais comme disait Oscar Wilde… Les folies sont les seules choses que l’on ne regrette jamais…
20 août 2020, je quitte la gare TGV d’Aix en Provence. Direction… mon rêve !! Une correspondance à Lyon, une autre à Grenoble, puis arrivée directement à Vizille. J’arrives tôt au domaine du château, prends une douche et pose la tente dans l’espace dédié aux coureurs. Quelques personnes ont déjà pris place… tout est calme, les gens se préparent pour le lendemain. A 20h, plus un bruit, tout le monde est couché. Je finis mon plat de pâtes, fignoles les derniers préparatifs, étudies une dernière fois mon roadbook de course. Je m’endors assez facilement et me réveilles à 3h du matin pour remballer mes affaires. Le départ des élites est à 4h du matin, le mien à 5h car je suis en vague 3. Je me dirige vers le sas, tout est bien calé, le timing est parfait. Je me sens bien préparé, solide… bien dans mes SLab Ultra 2 !! L’aventure va être longue, très longue… Je le sais !! Je connais le terrain, je me suis mesuré à la bête, elle ne me fera aucun cadeau !! Il va y avoir du sang, il va y avoir de la sueur, il va y avoir des larmes, il va y avoir du dénivelé, il va y avoir des coups de chaud, du vomi et plein d’embûches à surmonter !! Mais rien ne m’atteint, je suis dans ma bulle… hermétique à tout !! Je suis prêt cette fois-ci !! Ce moment j’y penses quasiment chaque jour depuis 1 an !! Je mesure la chance que j’ai d’être là… entre le COVID et mon repêchage sur la liste d’attente, il est interdit de se manquer une nouvelle fois !! Un petit coup d’œil sur la cloche… j’ai envie de la toucher… mais pas tout de suite, il faut rester patient, ce moment arrivera bientôt…
5h00, le départ est enfin lancé !! « Mc Gregor ?!? Montre-toi !! Aujourd’hui, j’ai les balloches aussi grosses que des pastèques et les canines aussi tranchantes que celles du Roi Lion !! Je vais te massacrer papa !!! ». Après quelques centaines de mètres et une courte enflammade, que je qualifierais de « mesurée », me voici littéralement… essoufflé !! Courir avec ce masque en tissu (Joliment décoré par ma chérie et mes 2 fifilles d’amour !!), c’est pas facile !! Je le retire rapidement et m’engouffre immédiatement dans la montée du bois de Mont-Sec, laissant définitivement le plat derrière moi !! Oui oui c’était le seul moment de plat de la course… L’Echappée Belle c’est PAS roulant !! 1km de plat et de bonheur, qui aurait pu être réalisé de fort belle manière, si j’avais eu un masque chirurgical, mais j’aime bien me compliquer la tâche en toute circonstance, ça met un peu plus de piments !! A peine commencée, la sauce « Old El Paso » était pourtant suffisamment relevée comme ça !!! 5h du mat’, Caramba !! Me que calor ? il fait une chaleur !!! je transpire déjà et l’air est limite suffoquant !! Assez vite, j’arrives au sommet du col de la Madeleine (Calmez-vous les cyclistes !! ce n’est pas le même… ça ressemble plus à la madeleine St-Michel qu’à un col du tour de France classé hors-catégorie !!). La grimpette se poursuit sur plusieurs kilomètres, les sensations et les jambes ne sont pas franchement bonnes, je décide alors de descendre d’un cran !!
J’arrive à Chamrousse au foyer de ski de fond Arselle au bout de 2h45 de course. Je suis au 17ième Km et gravis près de 1600mD+. Ici super ambiance, du monde, des musiciens, je ne reste pas longtemps, prends mon sachet individuel, bois un coup et repart aussi tôt. A partir d’ici, le plaisir des yeux commence !! Dès le 20ième Km, je traverse un site Natura 2000 d’une beauté rare… le lac Achard !! Juste splendide !! Je trouve enfin mon rythme, les jambes sont bien !! Depuis le ravito, j’ai le sentiment de bien avancer, il fait chaud, mais je gère, m’arroses de temps à autre, m’hydrate bien et sort mon super bob que tout le monde m’envie ! (Sans ce chapeau… D’Haene n’aurait jamais pu faire son record stratosphérique de 23h55 sur le même parcours !! Tout est dans le bob !!!). Je passe les cols de l’Infernet et de la botte, puis redescends à hauteur des lacs Robert. Je tire une ou deux photos malgré la ligne de conduite que je m’étais fixé au moment du départ… « Pas de tourisme cette année !! Tabassasses la caillasse !! Faut que tu traces !! ». Faut que je trace… c’est vrai, rester concentrer !! Pas de photos, pas de réseaux sociaux, pas de textos, pas de musique !! La règle d’or cette année, ne pas perdre de temps, ni sortir de mon objectif… mais le paysage est tellement beau !! Je me remobilise rapidement et passes les lacs Léama et Longet avant de rejoindre le refuge de la Pra.
Il est 10h30, km 27, je suis donc au 2ième ravito, j’ai grimpé 2400mD+ et compte 3h30 d’avance sur la barrière horaire !! Je prends une soupe de tomates (Est-ce vraiment raisonnable ?) et repart sans même remplir les flasques !! Ma stratégie cette année est bien différente de l’an dernier… Je m’autorise ce que je ne m’autorisais pas jadis…boire l’eau des rivières et des torrents !! « L’eau des montagnes, c’est risqué avec mon estomac un peu fragile… ». Baliverne !! Mon estomac n’est pas plus fragile qu’un autre ! L’eau de source est plus pure que celle du robinet, alors pourquoi s’en passer ?!? Quoiqu’il arrive, ce que la montagne te donne, tu le prends ! L’eau, il y en a partout ici, à l’image de l’an dernier il fait une chaleur accablante… alors ma principale attention sera d’éviter le coup de chaud, car c’est ça qui m’a tué l’an dernier !! Toutes les 10min, je m’arrose pour me refroidir et boit une petite gorgée dans la foulée… à chaque fois que je sens mon corps monter en température, je l’arrose comme les anciens arrosaient le moteur de leur vieux tacot des années 30 à chaque fois qu’ils sentaient les 1ère fumées sortir de dessous le capot !! C’était le prix à payer pour ne pas exploser la machine et la voir partir en flammes !! Aujourd’hui, je tiens le bon bout, je me connais mieux, je sais comment réagit mon corps et quelles contraintes peuvent lui être fatale !! Eviter la déshydratation et les coups de chaud pour éviter les nausées et les complications digestives qui suivent !! Tout est lié, tout s’enchaîne… c’est la règle N°1 !! Se refroidir, le reste suivra… Tous les voyants sont au vert pour affronter l’une des plus grosses difficultés de cette Echappée Belle… l’ascension de la croix de Belledonne !! Ce sommet, c’est le point culminant de la course... ça monte raide d’une traite. Il n’y a plus de sentiers, ici il n’y a plus de traces de vie, pas la moindre fleur, ni le moindre brin de verdure. Ici c’est le festival du gros rocher et du caillou tout dur !! Il faut souvent mettre les mains pour crapahuter de blocs en blocs. Dès le début de la montée, je casse un bâton entre 2 rochers, ce dernier s’est rompu sur 20cm, laissant ainsi sa pointe au fond de son trou… c’est une catastrophe !! Même pas le quart de course et je pète un bâton !! Ce n’est pas le Bâton de Berger de Justin Bridou que j’ai dans le sac qui va le remplacer… C’est vraiment la galère !! Je vais devoir prendre appui pendant plus de 40h sur un bâton de 120cm et un autre de 100 qui n’a plus de pointe à son bout !! La posture du dos est très inconfortable, il va falloir alterner régulièrement les bâtons d’une main à l’autre afin de ne pas forcer toujours du même côté !! On fait avec, ce sont les aléas de la course… Malgré ce petit désagrément, l’ascension se passe plutôt bien. 32ième Km, après 2700mD+ effectués d’une traite, j’arrives à la croix de Belledonne ! Dessus est inscrit, une phrase qui me donne le frisson et qui m’avait fortement ému l’an dernier… « Mettre l’amour au sommet ». Sur cette croix perchée à 2934m d’altitude… l’alpha et l’oméga, symboles de la vie et ces 4 mots qui disent tout et qui nous rappelle, avec beaucoup de poésie et de spiritualité, le but de notre passage dans ce bas monde… Je descends à vive allure le col de Freydane, traverse un névé et profite de l’occasion pour remplir le double fond de mon capéou d’aventurier de 2 bonnes poignées de neige. Celle-ci fond lentement sous l’effet du soleil, l’eau dégouline de ma tête jusqu’aux pieds, mon corps est frais… une aubaine sous ce cagnard infernal !! Je poursuis la descente jusqu’au lac blanc, elle est hyper technique et très très cassante !! La moindre erreur d’inattention peut se payer cash !! Je fonce jusqu’au refuge Jean Collet, je me sens pousser des ailes !! c’est trop trop bon !!
J’arrive au ravito 3 de Jean Collet avec 4h30 d’avances sur la barrière horaire, soit 3h30 d’avance par rapport à ma progression de l’an dernier… hallucinant !! 38Km, 3300mD+… 9h de course ça semble long !! mais en fait pour Belledonne c’est plutôt un bon temps. Je me ravitaille et repars…prochain ravito Habert d’Aiguebelle. Cette portion de course, c’est celle qui m’a achevé il y a 12 mois en arrière. Ce col de la mine de fer où je vomissais mes tripes et me couchais tous les quarts d’heures… cette fois-ci la difficulté n’est pas la même et ne se fait que peu sentir. Je suis surpris de ma résistance et de ma progression !! Je jette un regard sur le glacier de l’étendard en face et me remémores l’instant où tout c’était écroulé à l’époque… je me remet très vite dans ma course et fonces vers la brèche de la roche fendue, puis redescends par le pas de la coche jusqu’au ravito d’Habert d’Aiguebelle.
Ravito 4, Km 47… je quitte cet endroit maudit à 17h30 et conserve mon avance de 4h30 sur la barrière horaire !! Ma priorité ? conserver cette avance, garder ce petit coussin bien confort entre chaque portion… ma course est bien segmentée dans ma tête !! Si je gagne du temps supplémentaire sur la barrière, le plan est de l’utiliser pour dormir et me reposer… Je ne cherche pas un chrono, je cherche à finir !! la stratégie est simple !! Bien que cela puisse être difficile à croire pour certains… après 12h d’efforts, ma course venait tout juste de commencer après avoir quitté ce 4ième ravito !! 2019 était définitivement derrière moi, car tout ce que j’allais voir dorénavant, ne serait pour moi, que nouveauté et découverte !! Je monte le col de l’Aigleton… au sommet un lac et des vaches tout autour. J’ai chaud, je rentre d’un bloc dedans sans même retirer mes habits. La fraicheur de l’eau me fait un bien fou avant d’attaquer le terrible col de la vache !! Celui-là c’est du costaud (2532m d’alt.), il calme les ardeurs de nombreux concurrents. 58ième Km, je redescends le col de la veille comme un petit vieux, car j’ai vachement donné dans la montée du col de la vache !! La nuit est tombée. Juste avant d’arriver à la base de vie du Pleynet, je chute violemment dans une descente très pentue et caillouteuse. Fais plusieurs roulés-boulés… incroyable j’ai rien !!!
J’arrive à 1h du matin à la base de vie du Pleynet. Une ambiance d’arrivée, c’est la folie !! 64Km /5200mD+, 18h de course… cette 1ère partie était la plus exigeante de tout le parcours. Plus de 40Km consécutifs au-dessus de 2000m d’altitude, ça casse les organismes ! Je prends alors le temps…2h d’arrêt. Douche, change, repas et 30min de sommeil et je repars. Je quitte le ravito à 3h pétante !! Après 6km de descente, j’arrives dans un petit bled. Je longe une route sous les bois et là j’entends des cris, des applaudissements, c’est l’hystérie !! « Tout ça pour moi ?!? mais où sont les gens ? ». A 10m dans les arbres, une maison, une tente blanche, de la musique, des éclairages et un feu d’un autre monde !! Bizarre ce ravito n’est pas indiqué sur le profil de course dessiné sur mon dossard… je vérifies, il n’y est pas !! Tant pis, il est pourtant bien là sous mes yeux de toute façon !! j’y vais… on me dit « Oui ?!? Vous avez besoin de quelques choses ?!? » Un peu gêné je réponds. « Heu pardon… c’est bien le ravito ?!? ». « Ah non noooon, là vous êtes chez Sergio !! » me réponds un p’tit gars plein d’enthousiasme, plein de sympathie… plein tout court !! « Viens mon pote, tu es le bienvenu, c’est mon anniversaire… je te sers un rosé ? viens avec nous on va faire la fête !!! » me dit-il !! Un moment exceptionnel !! A l’écouter, j’étais un Dieu pour ce que j’étais en train d’accomplir… mais pour moi c’était clair !! le véritable roi de la soirée… c’était Sergio !!! J’étais à 2 doigts de faire une entorse à la course et accepter le verre de l’amitié, mais j’étais limite au niveau des nausées… j’ai malheureusement refusé, c’était préférable… Sergio en maître de cérémonie, m’a concocté avec ses troupes, une ola digne d’un prince au moment de mon départ !! « Pour Nico, les gars !!! Tous avec Sergio !! Oléééé !! pour Nico… Olééé !! » Magique !!! (Sergio ! Tu m’as fait kiffer !!). J’attaques la grande valloire, puis la petite valloire difficilement à la suite d’un coup de moins bien. Après une longue descente… de 4km !! J’arrives à Glesyn au petit matin.
Je suis au ravito 6 au 80ième Km, Il est 6h30. J’ai 5h d’avance sur la barrière horaire, je dors 30min au refuge. La propriétaire d’une gentillesse énorme s’occupe de tout… elle me réveilles avec beaucoup de douceur et s’occupe de moi comme une maman… Une grenadine, une soupe et c’est reparti pour le redoutable et très redouté col de Moretan !!! C’est certainement la plus grosse difficulté de cette course. Le corps est diminué, tu dois enchaîner une longue montée de 1400mD+ sur 2 paliers. Début de l’ascension, il pluviote pendant une demi-heure, puis plus rien !! Météo France avait annoncé la pluie pour ce 2ième jour, c’est raté !! Je monte le 1er palier difficilement, 5Km très raides, un bon nombre de coureurs du 87Km au dossard vert me dépassent. Partis du Pleynet, ils sont frais et n’ont que 20 bornes dans les jambes. Voyant ma lenteur, ils m’encouragent, me félicitent. « Le dossard orange ? la classe, t’es un monstre mon gars !! » me dit l’un. « Lâches pas, t’es une machine ! Bravo » me dit un autre… la machine perd en autonomie et en efficacité malheureusement. Je n’ai plus de carburant pour aborder le dernier palier jusqu’au sommet… j’ai du mal à m’alimenter. Ce Moretan, ce n’est pas une légende, c’est un sacré morceau… il me fait mal et me fait perdre un temps précieux !! Les derniers mètres se font au forceps… je prends un gel qui me donne le coup de fouet dont j’avais besoin !! Le sommet est perdu dans le brouillard, nous avançons dans l’inconnu le plus total… il n’est plus très loin, la voix des bénévoles, postés tout en haut, nous semble proche. Ils nous encouragent, nous chantent des chansons festives. Quelques mètres encore… la délivrance !! c’est le sommet !! « Au Moretan, tu es grand !!» me dit l’un d’eux en me tapant dans le dos. Ces mecs, là-haut, étaient super sympa, d’une bienveillance déconcertante… rassurant avant d’attaquer la descente de l’extrême !! 2Km de descente pour 550m de D- !! Tout à la corde, une 1ère partie dans une moraine immense. Je tombe une bonne dizaine de fois malgré la corde. Sur l’une d’elle, j’ai le souffle coupé et une violente douleur au niveau des côtes !! Ça glisse énormément !! c’est hardcore !! Le reste de la descente se fera sur une espèce de crête très escarpée aussi fine qu’une lame de rasoir !! La corde est ma meilleure amie !! le passage est hyper délicat… un gars derrière moi, glisse, s’agrippe violement à la corde. 3 cailloux, gros comme des rouleaux de PQ, se dérobent sous ses pieds, roulent, rebondissent et dévalent la pente prenant toujours plus de vitesse et de hauteur à chaque rebond au sol !! Nous sommes plusieurs à hurler du danger… on passe à 30cm de la catastrophe !! Alerté par nos cris, un gars 50m plus bas, esquive l’un d’eux in extrémis !! Sans ce reflexe, il la prend en pleine tête et serait certainement mort sur le coup vu la taille et la vitesse du projectile… on peut le dire, il l’a échappé belle !! Une fois arrivé en bout de corde, la pente est moins dangereuse, les niveaux de vigilance et de stress reviennent à la normale.
J’arrives au ravito 7 de Périoule, je suis au 90ièmeKm. Il est midi, je mange une soupe et une patate cuite au sel… un délice !! Mes papilles sont toutes émoustillées !! Je repars et poursuis sur une descente de 6Km suivi d’une montée de 4Km. Les grosses chaleurs d’hier refont leurs retours, c’est dur, mais on fait le dos rond. Ici les rivières sont rares… la gestion de l’eau est primordiale !!
100ièmeKm …Il est 15h précise lorsque j’arrive au ravito 8 de Super Collet. J’ai 3h d’avance sur la barrière horaire, le Moretan a inévitablement joué son rôle de perturbateur !! Je suis dégouté d’avoir perdu autant de temps dans ce foutu col !! Ma famille est venue sur place pour m’encourager, je reste au ravito pendant 1h… profite de leur présence, me repose, mange et allège mon sac pour ne garder plus que l’essentiel, car je vais devoir envoyer du lourd pour regagner le temps perdu au Moretan !! Pas question de flancher, le plus dur est derrière moi, il reste 3 tronçons !! Lorsque je quitte Super Collet, je n’ai plus que 2h d’avance sur la barrière, je vais devoir piocher énormément dans cette partie, pour me rassurer sur mes temps de passages !! Je monte alors au sommet du télésiège de la Plagnes au-dessus de la station avec beaucoup de détermination, puis descends par le col de Claran et continue de descendre encore et encore. Je cours en serrant les dents, mes orteils et mes voûtes plantaires me font souffrir… vu les douleurs, ça doit être un sacré carnage sous les chaussettes, je n’ose pas retirer les chaussures pour vérifier le résultat. Je descends fort, mais suis contraint de ralentir car je le sens, je crame trop d’énergie dans cette descente interminable et je dois gérer la montée qui va suivre. Le col d’Arpingon est costaud, un peu moins de 1000mD+. La montée est dure, je me fais passer par pas mal de monde… Je suis plutôt bien de façon générale, mais j’ai l’impression de perdre du terrain à chaque fois que quelqu’un me passe… Je ne comprends pas, est-ce ma technique de bâtons qui est mauvaise ? (Mr. Dus le planté de bâtons ne va pas du tout !!!). Est-ce que mes cuisses commencent à faiblir ?!? No Pain, No Gain !! Enervé, je décide de prendre plus de risques en forçant davantage sur les bâtons et les appuis !! La poussée est beaucoup plus consommatrices d’énergie… le souffle et le cardio montent en puissance !! Je me mets littéralement dans le rouge pour voir si mes efforts vont porter leurs fruits vis-à-vis des autres concurrents. Je ne m’épargne pas et rapidement je vois que ça paye !! Je double de nouveau et ne me fait plus dévorer par ce qui arrive d’en bas… pari gagnant !! Arrivé au col de la brèche, il fait nuit noire et la descente s’amorce vers val Pelouse (Ravito 9). J’ai beaucoup donné sur cette montée, tellement donné que j’en ai presque perdu la raison ! La descente est rude et ma lucidité a pris un sérieux coup derrière les oreilles. Je descends à vive allure et ne ressens plus le moindre danger, perds cette retenue naturelle et protectrice qu’à le corps à freiner la descente. Ce lâché prise cérébrale est assez reposant, le cerveau est éteint… mes pieds et ma proprioception gère les opérations.
J’arrive à Val Pelouse à 21h45, dort un petit quart d’heure et repars… j’ai récupéré quasiment tout mon retard, j’ai 4h d’avance sur la barrière horaire au moment de repartir !! 118ième Km, 10 000mD+ (Une 1ère pour moi !!), 41h de course (Une autre 1ère !!). Je suis fier de ce que j’ai entrepris dans ce dernier tronçon, un sacré coup collier… stratégie osée, mais payante !! Dernière nuit, plus que 2 blocs et demain je serais Finisher !! Je tente de verrouiller mes pensées, j’ai envie d’allumer mon téléphone afin de partager mes impressions et cette fin de course avec ma famille et mes amis… Je sais qu’ils sont nombreux à me suivre ardemment !! Elle sent bon mon affaire !! Elle sents bon c’est vrai… mais je dois rester focus sur l’instant présent, mobilisé sur l’essentiel… ce n’est pas encore fini !! Je me recentre donc sur cette avant dernière partie de course et continue d’appuyer. Les cols de Perrière, de la Perche, d’Arbaretan, le sommet du grand chat et le col du Champet… ça monte, ça descend sans arrêt, les kilomètres et les petits drapeaux orange, m’indiquant le chemin, défilent derrière moi ! A l’image du célèbre personnage de jeu vidéo, connu pour sa moustache et sa belle casquette rouge, je ramasse les petits drapeaux les uns après les autres, comme il ramasse ses petites pièces d’or tout au long de sa progression !! 1Up !! Une longue descente et me voilà enfin au Pontet !!!
Dernier ravito, je suis au 135ième Km, j’ai gravi 11 000mD+. Il est 4h du matin, j’ai 4h d’avance sur la barrière horaire, je suis constant à chaque passage. Je me surprends moi-même et ressens de la satisfaction personnelle quant à ma gestion de course depuis le début de cette aventure. Je savoure ma soupe auprès du feu… plus de doutes, je vais bientôt être Finisher de l’Echappée Belle !! Les choses sont malgré tout confuses dans ma tête, j’a conscience que c’est bientôt la fin… mais j’ai perdu la notion du temps et des distances depuis si longtemps !! J’ai du mal à restituer les choses… ce n’est pas grave, j’ai juste besoin de repos. Je pars donc dormir dans la Yourt réservée aux coureurs, m’y repose 1h avant de repartir. Il est 5h passé, c’est le dernier tronçon, une courte montée puis une belle descente et on sera enfin à Aiguebelle !! J’ai envie de profiter un maximum de ces derniers instants, prendre le temps de savourer et de libérer mon esprit… la descente est agréable, le sol est tendre dans ce sous-bois… ma foulée est d’une légèreté étonnante !! j’ai l’impression de courir sur un trampoline !! Mes cuisses sont fortes, absorbent tous les chocs et sont si résistantes !! Je n’ai aucune douleurs musculaires… j’ai l’impression d’être incassable !! C’est si bon d’en avoir encore autant sous les crampons après tant de kilomètres !!
Il est 8h, j’entends des cloches sonner au loin… ce n’est pas la fameuse cloche d’arrivée, ce sont celles d’un clocher !! je la vois en contre bas… c’est Aiguebelle !! Je m’étais toujours refusé jusque-là de me projeter sur l’arrivée, ni de penser à la cloche de toute l’aventure… mais maintenant je ne pense plus qu’à elle !! Aussi incroyable que cela puisse paraître, j’ai trouvé l’aventure si longue et si courte à la fois !! Je suis presque triste que cela se termine… mais je suis aussi tellement excité à l’idée de retrouver ma femme et mes enfants !! J’arrives sur le bitume, tout au bout je vois une silhouette… C’est Virginie venue à ma rencontre !! Je la rejoints et la sert fort dans mes bras. Elle seule sait ce que représente pour moi cette Echappée Belle !!! Cette victoire ce n ‘est pas que la mienne, c’est la notre à tous les 2, tant elle s’est impliquée, tant elle m’a soutenu dans ce projet ! (Merci mon amour d’être ce que tu es !). Nous finissons ce dernier kilomètre ensemble avec beaucoup d’émotions… l’instant est beau !! unique !! J’arrives à hauteur du couloir d’arrivée, Lucie et Camille m’attendent juste devant. Je vois leur sourire rayonnant et la joie de revoir leur papa d’amour… Elles m’ont tant manqué !! je les embrasse fort et les prend par la main… nous entrons ensemble dans le couloir du bonheur, l’arche rouge de l’arrivée est devant nous… le rêve devient réalité !! Je passe la ligne d’arrivée… Je suis Finisher de l’Echappée Belle 2020 !! 51h37, 149Km, 11 400mD+, 2 jours et 2 nuits de course, moins de 3h de sommeil au total…et tellement de joie à la clé !! J’avances devant la cloche… c’est incroyable !! J’ose à peine la toucher !! J’en ai rêvé pendant 1an !! Je l’attrape et la secoue avec tellement de fierté !! Ce moment est une sorte de consécration pour moi en tant que coureur… Il y a 5 ans en arrière quand j’ai commencé le trail, jamais je n’aurais pensé pouvoir finir une course d’une telle envergure !! Je suis sur un nuage, heureux d’être allé au bout, heureux d’avoir réussi ce pari, heureux de la manière… heureux tout simplement !! Ce n’est pas une revanche, c’est un aboutissement… aujourd’hui j’ai le sentiment d’avoir passé un cap ! c’est fort ce qui se passe au fond de moi !!! La montagne nous grandit tellement… on ne peut pas déplacer les montagnes ni même les soulever… mais ce sont elles qui nous élèvent !! L’an dernier, j’ai vécu l’expérience comme un échec !! Mais la leçon que j’en tire aujourd’hui, c’est que dans la vie comme dans le sport, on n’échoue jamais… on gagne ou on apprend !! La finalité c’est ça !! J’ai réussi mon Echappée Belle car j’ai appris… appris de mes erreurs, appris à me relever et à me remettre en question !! J’ai réussi, car j’ai su me mettre au niveau de toutes les exigences qui sont les siennes, en allant chercher plus loin… là où le dépassement de soi atteignait déjà ses limites ! Tout était écrit sur cette croix de Belledonne à 2934m d’altitude… « Mettre l’amour au sommet !». L’amour de mon sport, ma passion du trail… la placer, corps et âme, au plus haut que je puisse le faire pour atteindre mon but !! Le physique, le mentale ont certes leur importance, mais ils ne sont rien face à l’envie qui habite au plus profond de nous-même… celle qui bouillonne au fond de nos tripes, celle qui réside au fond de notre cœur !! L’Echappée Belle a été une expérience si enrichissante !! L’Echappée Belle m’a fait grandir !! Elle m’a poussé à sortir le meilleur de moi-même pendant plus de 50h… Rien a été laissé au hasard, rien n’a dépassé du cadre… j’en suis très fier !! Le plaisir était au rendez-vous du début à la fin !! Pas une seule seconde, je n’ai éprouvé autre chose que du plaisir véritable !! L’ambiance générale, la bienveillance et le dévouement de l’équipe organisatrice et de ses bénévoles…l’esprit d’entre-aide et de camaraderie entre coureurs, Belledonne et ses paysages à couper le souffle… ce parcours coriace et si exigeant à l’extrême !!! Alors oui, c’est vrai… L’Echappée Belle était une véritable folie !! Mais croyez-moi… les folies sont les seules choses que l’on ne regrette jamais…
Nicolas JULLIEN
(Plume d’or)
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